Si on vous offre une balade en bateau, une croisière en Méditerranée ou ailleurs, et que votre bateau s'appelle La Méduse, un conseil, ne montez pas à bord avant d'avoir lu ce qui suit.
L'histoire de la marine est remplie de belles histoires, pleines d'aventures. Mais elle collectionne aussi les histoires de capitaines mal inspirés qui ont conduit lentement, mais sûrement leur navire, leurs passagers et leur équipage à la ruine quand ce ne fut pas à une mort certaine. Mon propos n'est pas ici de reparler du Titanic, mais d'une autre histoire toute aussi exceptionnellement cruelle, mais bien moins médiatisée malgré qu'elle fût très bien peinte. Je veux vous parler, ici, de la Méduse, frégate napoléonienne qui connut un funeste destin illustré de manière très romantique par Théodore Géricault.
Sachez qu'avant d'être un radeau célèbre, la Méduse, fut une frégate qui fit la gloire de la marine napoléonienne et ensuite de la marine royale. Ainsi vont l'Histoire et ses changements de régime alors que les bateaux, eux, continuent de naviguer par tous les temps, plus particulièrement, les plus solides et les mieux dirigés. Cette réflexion n'est pas anodine.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la direction d'un navire n'est pas une chose simple. Elle demande à la fois du doigté et de la fermeté. Une bonne vue et un QI au-dessus de celui d'une poule qui a trouvé un couteau. Que les poules et les couteaux veuillent me pardonner ces digressions. C'est important de le souligner pour comprendre ce qui va suivre.
La méduse, c'est le cas typique d'une histoire d'expédition mal embarquée, et ce, dès son commencement, ce qui est un comble pour une histoire de bateau, vous en conviendrez avec moi.
En effet, en plein troubles politiques, la gestion des ressources humaines au sein du ministère de la Marine de l'époque (19e siècle) n'avait pas toute la finesse, toute la justesse et toute la tranquillité nécessaire pour désigner les meilleurs hommes aux aptitudes certaines et reconnues pour commander et mener à bon port un bateau de guerre du type de celui d'une frégate munie de gros canons pour d'encore plus grosses conséquences, par la suite.
Il semblerait que la constitution de l'équipage du navire ainsi que la désignation de son commandant fut fait dans la précipitation. Le ministre de la Marine de l'époque aurait dit ces paroles malheureuses : "faites ce que vous voulez, mais faites qu'il parte". Certains témoins ont voulu croire qu'il parlait de la Méduse. Il y a de quoi être médusé par de tels propos.
"Une expédition aussi mal emmanchée ne pouvait que mal finir", c'est par ces mots d'une grande sagesse sentant bon le Lauragais que Madame la baronne de Larochemichue , native de Monte-aigu en Lauragais et belle-sœur du sous-secrétaire en chef du ministre de la Marine, commenta l'événement qui nous occupe.
Cette belle et sage lauragaise ne pouvait pas mieux dire. Le 2 juillet 1816, la Méduse s'échouait, plombée comme il se doit par ses canons et son gros balourd de commandant. Une méduse qui s'échoue, c'est rien d'extraordinaire en soit, mais la Méduse, frégate royale armée de canons avec ses passagers et son équipage au grand complet à bord, qui se plante furieusement dans un banc de sable mauritanien, ce n'est pas exactement la même chose. L'Histoire a jugé fort négativement cette prouesse.
Cette sotte aventure aurait pu s'achever là, mais s'était sans compter sur les capacités de notre gaffeur en chef,
Hugues Duroy de Chaumareys, pour la prolonger. Au mieux de sa forme et de sa bravoure, plein d'aplomb, il décida de la construction en toute hâte d'un radeau d'une conception aussi hasardeuse qu’inédite pour transporter les 157 passagers qui ne pouvaient prendre place parmi les chaloupes qui seraient bien assez occupées à tirer le dit radeau. Les difficultés allaient en se cumulant. Ce n'était plus un radeau qui s'offrait aux naufragés à la dérive, mais un autobus des mers.
Un moyen de transport pareil, il fallait y penser. En cas de succès, l'affaire aurait pu être juteuse. Notre intrépide commandant se serait bien vu à la tête de l'entreprise "Hugues Duroy de Chaumareys, constructions navales". Cette dénomination aurait pu être du plus bel effet sur le fronton d'un chantier naval à Rochefort ou ailleurs, mais coquin de sort, il n'en fut rien. Le rêve fut fugace, car l'incorrigible capitaine de frégate préféra faire le choix moins hasardeux de prendre place à bord d'une chaloupe. Il laissa à leur sort incertain, les passagers du présumé radeau. Les passagers les moins enthousiastes virent là, de la défiance quand d'autres, plus enjoués, y virent le choix d'un marin éclairé.
Éclairé ou pas, notre Chaumareys, laissa son hypothétique radeau dans l'errance et les mauvaises fortunes de l'anthropophagie pendant que lui trouva refuge et convivialité à
Saint-Louis du Sénégal.
La vie à Saint-Louis ayant un certain prix notre "commandatore" se souvint avoir laissé quelques subsides dorés au fond de sa favorite frégate délaissée. N'écoutant que son bon chœur de financier, il missionna un navire à cet effet. Le bateau en question dénommé Argus ne retrouva pas les sous de La Méduse, mais croisa son radeau et récupéra ses quelques survivants qui finirent encore moins nombreux à l’hôpital de Saint-Louis. L’histoire ne dit pas s'ils eurent droit à un accueil chaleureux et s'ils trouvèrent quelques réconforts à déguster des calamars à la sauce Saint-Louis.
Cette fiction inspirée des atroces faits réels, c'est aussi, le récit des conséquences désastreuses de l'intemporelle incompétence des hommes de pouvoir et de ceux qui en tirent profit, usant des convenances et des manigances. Diviser pour régner sur des ruines est un bien triste constat, et trop nombreux sont ceux qui y perdent leur vie et leur âme. Sachons en tirer enseignement et sagesse. Restons prudents et clairvoyants quand se profilent, au loin, les leaders de la discorde aux tragiques prolongement guerriers.