dimanche 18 mai 2025

De oisillon affamé à vieux hibou rassasié, c'est une chouette histoire (2eme épisode).

Résumé de l'épisode précédent : j'effectue un retour vers ma vie de petit oisillon marqué par un déménagement d'Algérie vers la France dans les années 60 qui me perturbe bien moins que l'arrivée d'une dernière petite sœur dont la santé va perturber longtemps toute la couvée, parents compris.

Épisode 2 - Le nid familial gagne en robustesse.

Le nid familial gagne en robustesse, papa et maman oiseau investissent dans de la pierre. Ils attendront 25 ans pour en être propriétaire. Finis les locations, les changements de quartiers, je suis en cm2*.

Mon école d’alors se nomme l'école des Abatilles. Elle porte un nom charmant évocateur d'une eau minérale arcachonnaise bien plate mais qui saura aussi être pétillante. J'y demeurai tout juste une année et puis hop, je faisais mon entrée pour 7 ans plus 1 an de rab dans l'extraordinaire et exceptionnel lycée climatique d'Arcachon

image de l'entrée du lycée "Grand air" dans les années 60

Ce lycée climatique n'était pas banal parce que justement, il était climatique. De par la volonté de Monsieur Gustave Monod, ce lycée sanatorium est sorti du sable des dunes de la forêt landaise au sortir de la guerre de 39-45 avec la vocation d'accueillir tout plein de bronchiteux essoufflés et "d'outre-meristes" en peine d'acclimatation métropolitaine. J'ai fréquenté cet établissement durant toute mon adolescence. J'ai connu la vie de potache qui rit et la vie de potache qui pleure. 

Sans trop comprendre ce qui se passait, au milieu des odeurs de pins, du pollen, des chenilles processionnaires, et des asthmatiques, j'ai profité des vacances surprises et turbulentes de mai 68.

Ensuite, vint le temps des copains, des copines et du rock à gogo, pour s'initier à la musique, au sexe et au cannabis non thérapeutique dans ce que je nommerai les matières complémentaires facultatives par opposition aux matières obligatoires qu'étaient le français, les mathématiques, le latin, les sciences nat. et j'en passe. Je trouvai les matières facultatives beaucoup plus excitantes et je n'hésitais pas à faire preuve de zèle à leur égard. Je m'y investissais avec beaucoup d’ardeur. 

image d'un jeune oiseau avec un casque audio sur la tête, tout entier à l'écoute d'une musique

Chacun ses goûts, les miens, ils étaient plutôt rythmiques et sensuels comme ces excellents morceaux de Rythm and blues que savaient nous produire M. Otis Redding et ses complices de la STAX. L'écoute de ces musiques venues d’outre-atlantique me procurait chaleur et réconfort. Du côté de la chanson française, mes goûts d'alors me faisaient apprécier Dutronc et Antoine, tandis que les chansons d'Adamo séduisaient les oreilles de ma grande sœur. Écouter de la musique et des chansons fortement rythmées, ce fut un formidable et bruyant remède pour chasser mes craintes et ma mélancolie. Malheureusement, mes parents ne l'entendaient pas de cette oreille. Ils préféraient les voix du silence.

Quelques années plus tard, après avoir effectué un boulot d'été rémunérateur, je solutionnais ce problème, en me payant une chaîne stéréo complétée d'un vénérable et imposant casque audio. J'avais franchi une étape. "Travail, argent et technologie", ces trois mots allaient résonner longuement dans mon esprit, bien au delà des solutions à mes problèmes parentaux sonores et culturels. J'y reviendrai plus tard.

Au cours de ma vie de lycéen, j'ai fait beaucoup de rencontres; des personnes de tout âges et de tout poils en France et à l'étranger. Vivant au milieu des pins, à quelques encablures de mon lycée, j'ai eu le statut d'externe** durant toute ma scolarité. J'ai connu, une fois, la vie d'interne quand je suis allé faire un tour dans un pensionnat aux "States", comme on disait à l'époque, grâce à un valeureux et admirable professeur d'anglais qui aujourd’hui n'est plus de ce monde et je le regrette. J'aurais aimé le revoir et le remercier personnellement, mais nos parcours de vie en ont décidé autrement.


* cm2 est l’abréviation de cours moyen deuxième année à ne pas confondre avec l'unité de surface, le centimètre carré.

** l'externe c'est celui qui vit à l'extérieur de l'établissement là où les internes y mangent et y dorment. Signe du destin, ce statut là m'allait très bien, j'avais déjà en moi ce coté externe au monde de la vie sociale.

 

 

mercredi 7 mai 2025

De oisillon affamé à vieux hibou rassasié, c'est une chouette histoire (1er épisode).

C'est une histoire de plume.

Pour certains, je suis un drôle d'oiseau avec des côtés très chouettes. La réalité, c'est qu'aujourd’hui, oisillon, je ne suis plus et je ne m'en plains pas. Lisez donc.

j'ai décollé du nid familial, il y a déjà pas mal de temps et maintenant, je prends la plume pour un vous conter l'histoire d'un envol plein de gracieuses maladresses et d’enthousiasmes incompris et mal reçus.

Actuellement, je vole de mes propres ailes, mais il n'en a pas été de même lorsque j'étais oisillon.

imge d'un  "vieux" hibou consultant un album photo
Ma vie de minuscule petit volatile, c'était la vie d'un oisillon dans les années 60 quittant une Algérie qui ne serait plus française pour atterrir dans une région aux odeurs de pin pleine d'accents bordelais. Je changeais de décors et d'atmosphères. Je ne verrai plus le bleu de la mer méditerranée, mais je découvrirai le vert profond de l'océan Atlantique et bien d'autres choses encore. Ces changements environnementaux ne m'ont pas particulièrement bouleversé. Mes parents avaient fait en sorte que tout se passe bien, j'avais une vie scolaire bien réglée et tout cela fut un bon moyen pour reprendre des marques et des repères stabilisants. 

En 1964, j'avais déjà une grande sœur, mais une petite sœur arriva et avec elle ma vie changea. À ce moment-là, j'avais l'âge de raison et certaines choses ne tournaient plus très rond autour de moi. On comptait un oisillon de plus dans le nid douillet et pour papa et maman oiseau ce ne fut pas une sinécure, car le nouvel oisillon était né avec une fragilité certaine et cela nécessita que l'on s'en occupât plus que les autres. L'équilibre était rompu. Ça gazouillait plus trop à la maison. 

Ce fut un bouleversement aux conséquences profondes pour tous les petits et grands oiseaux de la famille. Chacun y laissa des plumes, mais ce ne furent pas les mêmes."Handicapé un jour, handicapé toujours, on est tous des handicapés ! " disait mon cousin Achille en regardant son douloureux talon. Il n'avait pas tort mon cousin grec.

Être parent et devoir affronter tous les problèmes inhérents à la santé déficiente de son enfant est une épreuve qui peut être longue et douloureuse pour toute une famille. Parents et enfants ne sont pas automatiquement dotés des qualités nécessaires et suffisantes pour faire face sereinement à ce genre d'épreuve où se mêlent étroitement affectif, intuitif, cognitif, psychologique, dit et non-dit. Nous ne sommes pas tous préparés équitablement pour affronter ce genre d'épreuve interminable. Nous la subissons et puis à travers un processus d'apprentissage nous essayons de la supporter, mais nous en gardons des séquelles plus ou moins visibles, plus ou moins bien cicatrisées.

"Au pays de la pommade et des tranquillisants, tout va très bien !" me disait hier encore en chantant un employé de la Marquise de Ventura*.

La vie m'en avait mis un coup sur le bec, mais un peu plus tard, en bon résilient qui s'ignore, cela ne m'empêchera pas de décoller de mon nid.

Fin du 1er épisode.

* C'est un clin d’œil à la chanson "Tout va très bien madame la marquise", un des grands succès de l'orchestre de Ray Ventura.